9/17/2011

Interview avec Julien Beneyton: "J-Roc - Queensbridge"


Julien Beneyton n’est pas un artiste de rue, c’est un témoin de la rue. Issue de l’école des Beaux Arts à Paris, il peint pendant plusieurs années des scènes de la vie quotidienne parisienne. Il éprouve alors le besoin de découvrir d’autres horizons, d’autres pays. La Pologne, le Sénégal, la Mauritanie, les Pays-Bas ou encore le Maroc font partie de ses destinations. En tant qu’amateur de culture hip hop, et grand fan de rap, New York constitue un passage obligé. En 2006, il part pour 3 mois dans la Grande Pomme. Il profite de ce séjour pour se rendre à Queensbridge, où il rencontre J-Roc et peint son portrait (ci-dessous). Pour queensbridge-international.blogspot.com, Julien Beneyton revient sur cette expérience.
Pourquoi avoir choisi le Queensbridge  lors de votre séjour à New York ?
J’ai eu la chance qu’on m’héberge à Manhattan pendant 3 mois, et j’en ai profité pour faire le plein d’inspiration. J’ai visité New York normalement. Je marchais beaucoup, quand je rentrais le soir j’étais mort. J’aimais bien Harlem, j’y passais souvent et mon ami François habitait là... J’allais aussi traîner à Brooklyn, le Bronx et le Queens. J’étais seul, je parlais mal l’anglais, donc je ne me la jouais pas genre « je connais ». Je prenais des photos tout le temps, mais selon où tu es il faut faire attention. Je n’aime pas déranger les gens non plus.
J’avais quelques rêves en tête, quelques lieux à voir. Quand je me suis retrouvé devant le graffiti en hommage à Big L vers la 140ème rue, j’étais vraiment ému. Je suis allé sur Fulton street ou Flatbush avenue…
J’ai toujours adoré les sons de Nas, Mobb Deep, Cormega etc… Le Queensbridge, je rêvais de le peindre vu depuis la cité des 96 blocks. Mais je ne voulais pas chercher un sujet prétexte il fallait que ça m’arrive, ou non.
Comme le dit Prodigy dans « Shook Ones Part2”:  « they come around, but they never come close to ». C’était mon cas, je n’avais pas de raison particulière d’y aller et me sentais victime de mon ignorance.

Comment s’est passée la collaboration avec J-Roc ?
A l’époque, mon pote François Bonura était photographe reporter pour le Radikal Magazine.
Il avait fait un énorme article (en 3 parties sur 3 numéros) qui s’intitulait « dans la peau d’un dealer ».
C’était vraiment intéressant, réel. François a suivi et interviewé un dealer, J-Roc, ce jeune mec de 23 ans à l’époque. Il racontait son expérience, son quotidien à fourguer du crack, sans fard, avec des anecdotes, des doutes, des remords, de la haine, de l’humour, loyal quoi.
Et puis J-Roc est tombé ; l’article le suit en prison, et à sa sortie.
Un soir, je raconte à François à quel point son reportage m’a impressionné, ainsi que le vécu de J-Roc. C’est vraiment quelqu’un que j’aimerais rencontrer, car je me demande bien quel portrait ça donnerait…
Quelques jours plus tard, J-Roc passe à l’appartement. François nous présente. Jay est très calme. Pour moi, c’est difficile de parler correctement et de bien comprendre, mais on est détendus, on parle de l’article, de Queensbridge, de Rap… Je dis à J-Roc que je suis peintre et lui explique que j’aimerais faire un portrait en collaboration avec lui. Ce qu’il choisit mettre en avant, ce qui est important pour lui, tous les détails dans lesquels il voudra bien s’impliquer, m’aideront à peindre, à faire un portrait au sens large du terme.
J-Roc m’écoute en silence. Je m’attends à ce qu’il refuse car sans intérêt ou ennuyeux pour lui…
Je lui montre quelques reproductions de mon travail.
Il me dit qu’il aime bien mes tableaux… « Ok, let’s do it », voilà sa première réaction.
La semaine d’après, on s’est donné rendez-vous vers la station de métro. François et moi l’attendions en mangeant quelques chicken wings. Jay est arrivé. Quelques instants plus tard, sa mère est arrivée accompagnée de sa petite nièce. On discute un moment, puis sa mère s’en va. J-Roc était très tendre et très complice avec sa nièce, une gamine d’environ 10 ans à l’époque. Elle est restée avec nous tout l’après-midi, très calme, adorable.
On est allé marcher ensemble dans Queensbridge. J-Roc racontait plein d’histoires qui s’étaient passées là, il commentait des panneaux, son terrain de basket, et on a aussi croisé quelques amis à lui. Il m’a présenté le bloc où lui et son grand frère ont grandis. Nous sommes ensuite allés devant le pont. Il a posé, j’ai pris pas mal de photos. Comme il voulait être « classe » pour les photos, on a attendu une heure devant son « barber » favori. Comme c’était complet, il a renoncé à se faire tailler le bouc. Dans une petite rue en face du barber, j’ai pris de belles photos de Jay et sa nièce. Plus tard, j’en ai fait une autre peinture.
Rentré en France, j’ai commencé par faire son portrait devant le Queensbridge. Je me suis fait plaisir, et en même temps, j’ai beaucoup souffert. C’est toujours comme ça quand je peins un grand format, les détails demandent beaucoup de travail, ça me pompe mon énergie. J’ai dû passer environ trois mois à le peindre.
A la fin, j’ai envoyé une enveloppe. Elle contenait une lettre, des reproductions du tableau et je crois un catalogue. Je pense que  J-Roc était assez fier de son portrait. Sa mère a mis une reproduction dans son salon.

Quelles sont les détails que vous avez souhaité mettre en avant et que représentent-ils ?
Pour Jay, être devant le pont était symbolique et allait de soi. Pour moi, c’était parfait.
Je ne me rappelle pas le nombre de poutrelles… mais je sais qu’un des immeubles à l’arrière-plan compte 169 fenêtres.
Ce n’est pas ce t-shirt qu’il portait ce jour-là, il n’existe pas. J’avais besoin de rouge dans le tableau, et je voulais que Jay dédicace quelque chose de personnel sur son t-shirt. Il a choisi de mettre en avant le nom de son block.
J-Roc tenait absolument à être représenté seul sur le tableau. Mais au bout d’un moment, je me suis rendu compte que s’il y avait quelques personnages derrière lui, ça donnerait une impression de profondeur, ça rendrait la peinture plus vivante. J’ai insisté, et lui ai demandé qui pourrait bien être là et pourquoi. Jay est resté sur sa position. Il voulait être seul car quand il a été incarcéré à Rikers Island, beaucoup de gens l’ont oublié, lui ont tourné le dos. Son sentiment de rejet était intéressant.
J’ai donc ajouté ces deux mecs qui  s’en vont à l’arrière. Voilà ce qu’ils représentent : sa déception. Tu tombes et le quartier s’en fout.
Quelles ont été vos sensations/impressions dans le Queensbridge ?
Je me rendais compte que j’y étais, enfin ! je ne pensais plus, j’étais là. Les images défilaient sous mes yeux… C’était une belle après-midi d’hiver. J-Roc était ravi de faire la visite et François ajoutait aussi d’autres explications. Franchement, j’ai passé un très bon moment. Je pense avoir vu ce quartier sous un angle agréable… Assez loin des clichés de pauvreté, de drogue et de gangsters qui sont hélas réels. La tension n’est jamais loin, tout peut basculer très vite, devenir dangereux. On sent aussi que c’est un vase clos, que tout le monde se connait, un peu comme dans un village. D’ailleurs ça a bien amusé J-Roc que je compare QB à un village…
Enfin, ce ne sont que les impressions d’un français de passage, je pense qu’il y a beaucoup plus intéressant que mon avis au sujet de Queensbridge. Ça fait déjà six ans…
Quelles sont vos futurs projets ?
En ce moment je suis en résidence à la Rijksakademie à Amsterdam jusqu’à la fin de l’année.
Je ne sais pas encore où la vie va m’amener à peindre ni quoi. Je travaille dur, je fais mes expositions du mieux possible. Je n’ai pas de futur projet lié à Queensbridge. Je ne sais pas si j’y retournerai, ni quand. Mais j’espère car je crois que j’aurais encore de quoi peindre à QB…
J’aimerais aussi revoir Jay. Si je repasse par New York, c’est une priorité. Mon anglais est bien meilleur, il faut qu’on se retrouve !

Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur Julien Beneyton et visualiser ses œuvres, n’hésitez pas à visiter son site internet www.julienbeneyton.net

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